Alain Juppé : « il faut prendre la mesure du danger qui pèse sur nous »

Lors d’une conférence organisée par l’Institut Montaigne à l’École des Mines, Alain Juppé, actuel maire de Bordeaux et candidat à la primaire des Républicains pour l’élection présidentielle 2017, est intervenu pour parler de « la France face au terrorisme », accompagné de Gilles Kepel, professeur à Sciences Po Paris. Rencontre. 

Alain Juppé mardi 26 janvier à l'Ecole des Mines © AM
Alain Juppé mardi 26 janvier à l’Ecole des Mines © AM

Que change la situation  que nous vivons pour l’exercice du pouvoir politique? 

Cela met le projecteur sur une fonction essentielle de l’Etat : assurer la sécurité des concitoyens. Dans mon livre (Ndlr : « Pour un État fort », édition Lattès), je parle de lutte contre le terrorisme, de sécurité. Je pense qu’il faut regarder la réalité en face : l’armée française est en guerre. Il faut prendre la mesure du danger qui pèse sur nous. Cet affrontement va durer, impliquer des mesures fortes, une mobilisation de tous le instants et un mouvement d’unité. Voilà ce que cela change : une gravité particulière et un rôle tout aussi particulier donné à l’Etat. Toutefois, il faut faire attention à ce qu’il se passe actuellement, l’état d’urgence ne peut durer éternellement. S’il s’agit de donner aux préfets des pouvoirs supplémentaires sans aucun contrôle a priori du juge judiciaire, ça mérite quand même une sérieuse réflexion.

Que préconisez-vous pour enrayer le terrorisme? 

Il ne faut pas accepter que, à l’école, des faits historiques soient contestés, comme la Shoah par exemple. Il faut aussi mener une lutte contre la radicalisation via internet. De même, laisser la prison devenir un incubateur de radicalisation n’est pas possible, j’ai proposé la création d’une police pénitentiaire pour surveiller cela. Il n’est pas acceptable que dans certains lieux de prière, on laisse véhiculer des messages qui appellent à la violence ou au terrorisme. J’ai fait un pari raisonnable : refuser une certaine vision de l’Islam qui est répandue dans notre pays et qui consiste à dire que cette religion serait par définition incompatible avec nos valeurs. Il doit exister une lecture de la religion musulmane compatible avec la République. Les autorités musulmanes défendent ce point de vue. Plusieurs mesures s’imposent : instaurer l’obligation de prêcher en français, nouer un dialogue entre pouvoirs publics et autorités religieuses, qui aboutisse à la fixation de règles du jeu. Il faut concilier notre diversité, pousser plus loin l’intégration. La France est multi-culturelle, je ne souhaite pas qu’elle devienne communautaire. Je n’ai jamais entendu, depuis trente ans de vie politique, chanter la Marseillaise comme on l’a fait partout en France depuis le 13 novembre. Cela montre que les Français sont à la recherche d’un bien commun, qui les unit.

Pensez vous que certaines orientations en matière de politique étrangère sont à reprendre? 

Aujourd’hui, on nous reproche d’avoir « lâché » Hosni Moubarak en Egypte, d’avoir contribué à renverser Mouammar Kadhafi en Libye,  entre autres… alors qu’en 2011 on nous reprochait de fermer les yeux sur des régimes autoritaires, de ne pas avoir vu venir la profonde révolte de ces peuples. Vous voyez donc comme il est facile de réécrire l’histoire. Je ne regrette pas d’avoir évité à la population de Benghazi un massacre programmé. Cela dit, nous n’avons pas réussi, il faut le dire. En Syrie, nous avions une stratégie mais cela a été l’échec le plus retentissant. Nous sommes dans une situation de laquelle il va être difficile de s’extirper, concernant la Syrie, je n’ai pas la solution.

Faut-il revoir nos relations avec certains pays du Golfe? 

J’ai approuvé l’accord avec l’Iran, qu’il faut remettre autour de la table. J’ai plus de réserve concernant l’Arabie Saoudite mais il faut en tout cas remettre tout le monde autour de la table des négociations pour sortir du guêpier syrien.

Que pensez-vous du vote Front National en réponse au terrorisme? 

Nous voyons bien aujourd’hui, qu’il y a, dans une partie de l’opinion, un rejet de la classe politique à qui on reproche son impuissance à régler les problèmes de notre pays, notamment le chômage, question prioritaire. L’idée que tous les gouvernements successifs ont échoué face à ce fléau provoque la réaction qui consiste à dire : « nous allons essayer le Front national », avec parfois des attitudes stupéfiantes. Le vote pour ce parti est extrêmement complexe, par exemple dans le Medoc, près de Bordeaux, le Front national a gagné un canton aux élections régionales alors qu’il n’y a pas un immigré et pas de problèmes d’insécurité. On dit que ce vote est corrélé à notre échec dans la politique de la ville. Très souvent, on réduit la politique de la ville à l’action de l’Anru. Ce n’est pas à cela que ça se réduit. Il y a une action de police déterminée pour faire cesser les situations de non-droit, associée à la politique de prévention de la délinquance. Lorsque j’entends des jeunes dire « nous savons que nous n’aurons pas de travail« , cela montre l’ampleur de l’urgence nationale pour revoir la politique de l’emploi, notamment en revenant aux 39 heures, en cessant la contradiction entre les paroles et les actes en matière d’apprentissage. D’autre part, il faut sortir de situations génératrices de votes pour le parti de Marine Le Pen : lorsque l’on peut avoir plus de revenus en ne travaillant pas qu’en ayant une activité professionnelle, cela pose problème. Il faut revoir cela.

Propos recueillis par Alexis Mamou

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