Olivier de Kersauson, navigateur, auteur de Ocean’s Songs

Dans “Ocean’s songs”, Olivier de Kersauson nous fait naviguer de l’Indien au Pacifique, de Brest à Tahiti. De sa plume poétique, il révèle tout en sensibilité et en pudeur son amour infaillible pour la mer.

Dehors, il fait tempête. J’ai rendez-vous avec Olivier de Kersauson dans son hôtel parisien, à deux pas des Champs-Elysées. Dans le confort douillet du salon, loin de cette image d’homme bourru qui lui colle à la peau, c’est un poète aux paroles sensibles qui évoque sa vie de marin et son port d’attache ad vitam æternam : les océans.

Récit de l’interview réalisé en janvier 2009 :

“Ocean’s songs” retrace votre vie. Après 40 ans de navigation, est-ce l’heure du bilan ?

Non, car les choses ne sont pas finies ! (rires) C’est un regard que je porte sur le monde maritime et les raisons pour lesquelles j’ai été capté par les océans. Je trouvais aussi intéressant de parler de la mer car aujourd’hui, à part nous, les navigateurs, plus personne ne la regarde. Sa forme, le clapot, la houle, les nuages, la température : ce monde est extraordinaire, pas monotone. Pourtant, pour beaucoup de gens c’est un truc bleu en face de leur transat.

Est-ce facile d’écrire sur une passion si forte ?

Je l’ai fait assez facilement, parce que je me suis rendu compte avec le temps, que ce qui m’a attiré de façon irréversible et définitive était plus partagé que ce que je pensais… Nous qui avons cette passion difficilement formulable et dont le métier est d’être absent, nous sommes une fraternité plus nombreuse qu’on ne l’imagine. Le mot “passion” m’ennuie un peu car il est très dévalorisé : on parle de la passion du shopping ! C’est un intérêt fort, émotionnel, qui a souvent transgressé plein de choses. Ça a été un élément moteur qui est difficilement transmissible : il est plus facile de raconter une journée de tempête qu’un moment de bonheur absolu quand le navire glisse parfaitement sur une mer bien dessinée.

Comme beaucoup de personnes de votre génération, votre enfance a été marquée par la guerre. A 20 ans, quand vous comprenez que votre vie ne va pas être sacrifiée, vous décidez de partir…

C’est un geste conquérant. L’équation est simple : j’arrive dans un monde où un an avant, c’était le chaos. J’y ai fait mes premiers pas : cela poursuit. Depuis longtemps, nous avons été la première génération à qui on a rien demandé dans le domaine militaire. Cette liberté de prendre des risques m’a beaucoup conditionné. Il y a tellement de gens dont la vie leur a été arrachée qu’on se doit d’en profiter, au sens généreux et fort du terme, sans se laisser dominer par les peurs, les angoisses, les inquiétudes. Tant qu’on ne me vole pas ma vie, j’ai envie de faire quelque chose où je ne m’arrêterai pas devant le risque ou la peur.

Vous rendez un hommage à Eric Tabarly. Que vous a-t-il apporté ?

Le filtre des années permet de révéler tout ce qu’il y a eu de formidable. Aujourd’hui, son sens marin, l’invention des multicoques, des bateaux à ballast sont encore d’actualité. Ce n’est pas un hommage béat devant un souvenir, c’est la conséquence d’une réflexion d’une quarantaine d’années pour être dans les meilleurs de ce métier, sur un type qui, maritimement parlant, était un géant.

Dans le prologue, vous évoquez la “dématérialisation du savoir” que provoque Google Earth…

Cela faisait 38 ans que je n’étais pas venu à San Francisco et j’y rencontre les créateurs de Google. Il m’a fallu 38 ans pour découvrir le monde et, eux, il leur a fallu quelques centaines d’heures pour mettre le monde à la portée de tous ! J’ai senti une bascule du temps. A 15 ans, je rêvais sur des cartes marines. Aujourd’hui, les gens rêvent devant un ordinateur qui fait des zooms et sur lequel on voit parfaitement les détails d’une plage…

Cela implique que la nouvelle génération de marins n’est plus guidée par les mêmes aspirations ?

Les choses ne sont jamais les mêmes. Il n’y a pas de nostalgie, je pense que les mondes que l’on vit sont intéressants. La communication et les communications au sens général, ont bouleversé ce monde. J’ai connu les épreuves en solitaire et en solitude. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas : les frais de communication de bateaux sont hallucinants. Il n’y a plus cette notion forte de solitude et d’isolement. Ce n’est pas un jugement de valeur, mais la constatation d’une bascule. Le monde n’est que ça.

Vous parlez dans votre livre de votre fils, Arthur. A-t-il été tenté de suivre vos pas ?

Les enfants de marins font ce qu’ils peuvent parce que leurs pères ne sont pas idéaux : nous ne sommes pas là. Non, Arthur a fait du surf… et autre chose ! (rires) Mais c’est normal aussi, je ne vois pas pourquoi on ferait ça de façon dynastique !

Aujourd’hui vous vivez en Polynésie ?

Pendant quatre ans on s’est retrouvés à faire toutes les courses du Pacifique. J’ai alors décidé de ne pas mourir sans avoir passé du temps dans cette partie du monde que je connaissais un peu, le centre du Pacifique. En tahitien, ils appellent Tahiti « Pito » : le nombril, le centre du monde. C’est le centre d’un monde maritime extraordinaire qui me passionne. Ce n’est pas une question d’y vivre. Je dis « Je ne vis vraiment jamais » : j’y passe beaucoup de temps.

Vous qui avez sillonné toutes les mers, y a-t-il un endroit encore inexploré où vous souhaiteriez aller ?

Non : il n’y a pas d’endroits où je ne suis jamais allé ! (rires). C’était aussi une de mes ambitions de connaître l’intégralité de ce monde maritime car la mer est aussi variée que la terre, encore faut-il en avoir la lecture. Ah si il y a un endroit où je ne suis jamais allé, c’est la Mer Noire, enfin, ça n’est pas vraiment de la mer ! (rires) Il faut qu’il y ait des océans, de l’espace. Je ne suis pas un contemplatif. En face de ce monde maritime, si on me disait, tu as encore le droit à dix mille ans mais tu n’auras le droit de faire que ça : c’est le bonheur absolu pour moi.

Etes-vous du genre à prendre des bonnes résolutions pour la nouvelle année ?

Pas du tout ! Je n’ai pas besoin de rendez-vous pour les résolutions. Naviguer c’est aller quelque part et venir de quelque part, négocier des vents pour se déplacer. L’écart entre “où on est” et “où on en est” n’est donc pas si fort. Donc on peut prendre des résolutions pendant des années ! (rires) La mer donne la chance d’avoir rendez-vous avec soi alors que la vie à terre ne donne pas trop ces occasions : on a trop souvent rendez-vous avec les autres.

Ocean’s song de Olivier de Kersauson aux éditions du Cherche-Midi. 264 pages. 17 €.

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