Ma semaine de retraite de yoga à l’Ashram Sivananda

Situé à Neuville-au-Bois, une petite ville près d’Orléans, l’Ashram de Yoga Sivananda accueille des citadins en quête de sérénité. C’est un bon plan pour vivre des vacances de yoga différentes et tester ses capacités avant de s’engager dans une aventure plus exigeante en Inde. Reportage au pays des châteaux de la Loire et de l’éveil spirituel.  

Par Corine Moriou

 Jour 1

Gare d’Aubrais, près d’Orléans. Un taxi m’attend et s’enfonce dans la forêt. « Bienvenue au château Sivananda », me lance le chauffeur un brin goguenard, habitué à voiturer « des gens qui font du yoga ». En fait, il ne s’agit pas vraiment d’un château, mais d’une très grande bâtisse environnée d’une belle nature sur un domaine de six hectares. C’était autrefois une maison de retraite qui, depuis l’an 2000, accueille un tout autre type de « retraitants ». Ce sont des femmes et des hommes, à parité égale, avec une très forte majorité de trentenaires et quadra. Mieux vaut avoir la pêche et être en bonne santé, car le rythme de l’Ashram est intense. Levée à 5h30, extinction des feux à 22 heures au plus tard. En plein été, environ 130 personnes séjournent dans ce centre hindouiste dont des élèves professeurs en formation, facilement reconnaissables à leur tee-shirt jaune soleil et leur pantalon blanc. Mais les « vacanciers » sont admis. Un petit groupe d’une vingtaine de yogis et yoginis ont choisi de faire une retraite. Ils viennent seuls, plus rarement en couples. Trente bénévoles et dix permanents veillent au bien-être des résidents : des méditations matinales aux fêtes religieuses en passant par la découpe des légumes à la cuisine et la vente de livres à la boutique. A l’Ashram, on séjourne dans des logements en dur « au château » (si l’on s’est inscrit suffisamment à l’avance), dans des bungalows ou sous des tentes. Manohra, un ancien informaticien aujourd’hui professeur de yoga, a pour mission d’accueillir les nouveaux arrivants. Une fois les formalités d’inscription effectuées, il m’attribue « la tente 23 », plantée dans le champ des campeurs. Ma nouvelle demeure de toile jaune et orangée est joyeuse, spacieuse, équipée d’un bon matelas, de draps, de couvertures et d’une lampe de chevet. Même pas besoin de ma lampe de poche ! Bref, le grand luxe. Je suis comblée par tant de confort inattendu. En plein mois d’août, le lieu est étonnamment calme, alors qu’une trentaine de tentes sont regroupées dans cet îlot. Ici le bavardage n’est pas au programme des activités. On marche, on respire, on médite dans le calme, la bonne humeur et la pleine conscience. A la différence de monastères bouddhistes, il n’y a pas un diktat absolu du silence.

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16 heures : Cours de yoga au milieu des arbres Je dépose mon tapis personnel et mon zafu (coussin de méditation) dans l’herbe. Le cours de yoga démarre en pleine nature avec une dizaine de vacanciers. Ananta, un grand blond d’origine allemande, nous guide en français et en anglais. Face à un magnifique platane qui a au moins 500 ans, je fais la salutation au soleil couchant. Exceptionnellement, je maintiens les yeux ouverts pour m’imprégner de cet océan de verdure, moi la citadine qui habite dans un Paris hyper centre très urbanisé. Parmi les douze postures de base, j’enchaîne la chandelle, la charrue, le poisson, le pont, la posture sur la tête, le corbeau… Savasana : relaxation finale, je m’allonge jambes et bras écartés. Totalement immobile à l’image d’une étoile de mer échouée sur une plage. Je suis bien, totalement bien, détendue, sereine.

18 heures : Dîner végétarien et échanges entre les participants. Le dîner 100 % végétarien (mais pas vegan) se présente sous la forme de plusieurs buffets. Dans une gamelle en inox, Katia me sert une bonne ration de légumes (patate douce, courgette, fenouil, choux fleur, kinoa) relevée par un peu de coriandre et curcuma. C’est délicieux – comme la soupe qui a précédé – mais le pain, le café et l’alcool ne sont pas au menu. La cure de désintoxication a commencé ! Au choix, on s’installe sous une tente où sont alignées de grandes tablées, sur des bancs dans le parc ou carrément allongés dans l’herbe, même si l’on est loin de l’ambiance « Peace and Love ». Le dîner est un moment où l’on peut échanger avec les autres yogis. Parmi les habituées de l’Ashram, il y a Angela, une allemande qui vit à Munich où elle a laissé son mari et ses trois grands enfants pour se ressourcer pendant deux semaines. «  Je ne viens pas ici dans le but d’une recherche spirituelle, mais pour calmer mon mental, travailler sur mes préjugés, développer la compassion, l’amour universel », confie cette professeure de langues qui souffre de migraines les premiers jours…faute de café. « C’est ma seule drogue, reconnaît-elle, mais cela passe. » Elodie, productrice audiovisuelle, 44 ans, maman d’une petite fille de six ans est, elle, à l’Ashram pour « faire un bilan, réfléchir à la vie, et se recentrer sur l’essentiel, nous dit-elle. C’est mon quatrième séjour, un précieux rendez-vous que je prends tous les ans avec moi-même. »

20 heures : Méditation, chants et conférence. C’est l’heure du Satsang qui réunit les élèves, les professeurs et les Swamis. Il flotte une légère odeur d’encens dans la grande salle du premier étage. Nous sommes assis sur le sol, en tailleur ou en lotus.  Quelque rares chaises sont vite récupérées par ceux qui ont mal au dos. Pendant une demi-heure, nous méditons en silence. Bâillements, raclements de gorges, articulations qui craquent : les corps se dénouent, se relâchent, les esprits se concentrent, s’évadent. J’inspire OM, j’expire OM, j’inspire OM, j’expire OM… Je me concentre sur le mantra SO HAM (sa signification est « Je suis Cela ») tout en visualisant le 3 ème œil qui se trouve entre mes deux sourcils. Viennent ensuite les chants. Je suis perdue en dépit d’un petit fascicule qui m’a été remis à l’entrée. Mais je ne boude pas mon plaisir. Mon corps devient un instrument de musique ! On a rarement l’occasion de faire travailler ses cordes vocales sauf à être inscrit à une chorale. Une conférence sur le pranayama (la respiration) et ses bienfaits sur le stress clôture la soirée.

Jour 2

5h30. Le tintement de la cloche annonce le réveil. « Om Namah Sivaya ». Dans la fraîcheur de l’aube, des silhouettes fantomatiques convergent vers la même grande salle de méditation. Assise en lotus, paumes des mains sur les genoux tendues vers le ciel, j’accueille les énergies du cosmos. Mais j’avoue reconnaître que j’atteins ce matin là le plein état de somnolence. Dong, fin de la demi heure de méditation. Dommage, c’est l’un des moments que je préfère.

A 8 heures, je suis en pleine forme pour suivre le cours de yoga avec Prema, une professeure qui enseigne à Taiwan et est l’auteure de Yoga pour les Enfants. Une star dans son domaine ! Avec une grande précision, elle corrige nos postures. Le petit déjeuner est à 10 heures mais, c’est aussi le (très copieux) déjeuner de la journée. Mes habitudes sont chamboulées. N’est-ce pas aussi cela que je suis venue chercher ? Progressivement, je vais m’apercevoir que je digère beaucoup mieux et que mon corps est nettement plus réceptif au yoga, le ventre creux ! Swami Kailasananda, la directrice spirituelle des centres Sivananda en France, au Royaume-Uni, en Australie et en Nouvelle Zélande est présente pendant mon séjour. J’en profite pour demander à ses proches d’organiser une interview. Elle me reçoit avec sourire et simplicité. Ses paroles sont lumineuses, pleines de clarté. « Le yoga offre la possibilité de se détendre, d’améliorer sa santé physique, de mieux maîtriser ses émotions et de trouver un sens à sa vie. » Voilà le résumé de l’entretien avec cette trentenaire qui a découvert le yoga à l’âge de 16 ans, s’est intéressée à l’histoire de l’Inde et a appris le sanskrit. Swami Kailasananda n’est pas globe-trotter, mais ses responsabilités l’amènent à se déplacer plusieurs fois par an en Inde, en Australie et en Europe. En sa compagnie, je ressens une paix profonde. « Tendre vers samadhi ou vers l’éveil est une voie difficile, mais plus sereine que la recherche de l’argent, du pouvoir, de la célébrité », commente Kalias, un ex-footballer qui prend la suite de ce reportage improvisé pendant mes vacances pour me faire visiter les moindres recoins de l’Ashram. Ce jeune homme a lâché sa carrière professionnelle pour rejoindre la communauté des permanents de Neuville-aux-Bois où il vit toute l’année. « Le succès professionnel me semblait un but limité, il me fallait aller vers autre chose de plus élevé », m’assure t-il. A le voir évolué avec bonheur au sein de l’ashram, je n’en doute pas.

JOUR 3

Au Samadhi Hall, un petit groupe de « vacanciers » suit l’après-midi une conférence avec Kalama, professeure de yoga en Australie, qui séjourne régulièrement l’été à l’Ashram pendant plusieurs mois. Thème : le Raja Yoga. Le Raja Yoga ou Yoga « Royal » ou « Astanga Yoga » recouvre huit branches du yoga, mais c’est la méditation, la 8 ème branche (samadhi) qui apporte la réalisation de soi. Questions, réponses. Nous progressons dans notre connaissance de la philosophie du yoga. A cette occasion, je rencontre Marine et Gérard, un couple d’ouvriers suisses qui a osé l’aventure de l’Inde il y a trois ans. « Notre premier voyage en avion, nous l’avons fait pour aller au Kerala dans l’Ashram Sivananda. Rude expérience, car le programme était uniquement en anglais et nous avions des difficultés à suivre l’enseignement. Nous ne dormions pas sur un matelas, mais sur une natte très mince. Pas de couverts : nous mangions avec nos mains une cuisine trop épicée à notre goût. C’était difficile et inconfortable, mais ce séjour nous a beaucoup apporté, reconnait Martine, qui travaille dans une usine d’horlogerie. Nous avons une approche différente des épreuves de la vie. Et je fais du yoga tous les matins ; c’est un gros effort, car il faut que je sois à l’usine à 6h30, mais je ne peux plus m’en passer ! »

A 20 heures : la marche silencieuse à travers les bois. Nous quittons le château et j’emboîte le pas à une centaine de bipèdes pour une marche silencieuse à travers les champs et les forêts. Concentrée sur le déroulé de mes pieds, de la pointe au talon, je ne peux m’empêcher de penser à l’étrange spectacle que cette procession nocturne offre aux gens du coin. Nous nous arrêtons pour méditer devant une prairie où un pur sang noir et deux juments viennent murmurer à notre oreille. Un joli moment de pleine conscience où tous nos sens sont comblés et apaisés. Au retour, la parole est libérée.

JOUR 4

Au programme de la journée, j’ajoute une activité  manuelle. Non ce n’est pas du macramé ! A 11 heures, je lave la vaisselle, assistée de Julien, un quadra Parisien. En fait, nous pratiquons le karma yoga, le yoga de l’action désintéressée qui, selon l’hindouisme, purifie le cœur et permet de dépasser l’ego. Dans le même temps, d’autres résidents s’adonnent au jardinage ou au lavage du linge de la communauté. Il y en a pour tous les goûts… Julien veut bien témoigner pour mon reportage, mais sans photo. Et je lui promets de changer son prénom. « Le yoga a pris beaucoup d’ampleur et s’est banalisé ces cinq dernières années, mais cela ne serait pas bon pour mon image que l’un de mes clients m’identifie, explique ce consultant en organisation et management d’un grand cabinet d’audit. J’adore venir tous les ans me ressourcer ici. Cet été, je pars à Vancouver pour me former au Yin Yoga. » Cela n’est pas tombée dans l’oreille d’une sourde. L’après-midi, Julien donne un cours de Yin Yoga « Off » à trois de ses nouvelles amies – j’ai la chance d’en faire partie – au milieu des peupliers. Peu de postures, mais on les garde 15 à 20 minutes. On médite et l’on tente d’oublier ses douleurs articulaires. Je fais la connaissance de Roland, 45 ans, professeur d’éducation physique à Saint Malo. Il  s’est fixé pour challenge de devenir professeur de yoga diplômé en un mois, selon le programme de Sivananda. « Il y a une très bonne ambiance entre tous ceux qui, comme moi, préparent le professorat. Ce n’est pas un concours, on s’entraide. Mais c’est très exigeant, car nous avons des devoirs tous les jours. Il y a une feuille de présence, donc pas question d’avoir une panne d’oreiller et d’échapper à la méditation de 6 heures. Au bout d’une semaine, je suis vraiment dans le rythme et je me sens en pleine forme. »

 JOURS 5 ET 6

L’Inde est en fête ! Les cérémonies religieuses ou les pujas se succèdent dans le temple principal et les petits temples alentours. C’est la fête du feu avec deux prêtres brahmanes venus de Bangalore. Nous récitons des mantras et évoquons le Dieu Ganesh, libérateur de tous les obstacles de nos vies. Munis de notre samkalpa (une phrase positive correspondant à un souhait), nous jetons une pincée de riz sur une assiette ornée de fleurs. Présentée à une divinité sous la forme d’une offrande, le Prasad, la nourriture bénie, nous est redistribuée à la fin de la puja. Ces rituels védiques génèrent de fortes vibrations spirituelles empreintes de paix et d’amour. « Il n’y a pas de prosélytisme, on n’est pas obligé d’adhérer à l’hindouisme lorsque l’on séjourne à l’Ashram », note Chloé, professeur de yoga à Cannes qui reconnaît préférer s’en tenir à la pratique. C’est vendredi. Des têtes nouvelles apparaissent. Souvent des Parisiens en week-end ou des professeurs qui sont ici pour se perfectionner. Ma semaine de retraite touche tranquillement à sa fin. Je salue mes nouveaux amis yogis et profite d’un covoiturage pour regagner la capitale. Il est encore un peu tôt pour que je réalise les bienfaits de ces vacances spirituelles. Je sais que le retour à la vie parisienne sera difficile, mais je me sens déjà plus forte et plus sereine pour en affronter les contraintes.


C’est Swami Sivananda, un grand sage indien et yogi (1887-1963) qui est à l’origine de la création d’une trentaine de centres et ashrams Sivananda dans le monde www.sivananda.org. On les trouve bien sûr en France, mais aussi au Canada ou encore sur une plage de rêve aux Bahamas jouxtant le Club Med. Swami Sivananda, d’abord médecin, a vécu une vie monastique pendant plus de 30 ans à Rishikesh, sur les rives du Gange, au pied de l’Himalaya. Ardemment désireux de transmettre son savoir, il a écrit plus de 200 livres. Il a formé toute une génération de maîtres de yoga et il a envoyé son disciple Swami Vishnudevananda (1927-1993) en Occident pour y faire découvrir son enseignement. C’est une grande réussite, car la formation de Sivananda continue à séduire de nombreux adeptes du yoga, toutes générations confondues, sans céder aux modes du moment. Elle est intense et sélective, car elle se déroule en un mois. Mais ne faut-il pas toute une vie pour être un bon professeur de yoga ?


 

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